8 Espagne
(Caroline Blais, Marielle Roy, Nicolas Des Groseillers)
Profil du pays
L’Espagne est devenue une monarchie constitutionnelle en 1978. Cet événement marque la fin de la dictature autoritaire du général Francisco Franco qui a défini la politique espagnole pendant près de 40 ans. L’Espagne est actuellement dirigée par le roi Felipe VI. Ce pays européen couvre une superficie géographique de 499 603 km2. Il est divisé en 17 communautés autonomes (Université de Sherbrooke). Sa capitale nationale est Madrid. Le Président du gouvernement de Madrid, et résident du palais de la Moncloa depuis 2018, est Pedro Sanchez du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) (La Moncloa, 2022). Le pays comptait, en 2021, 47 326 687 habitants. La langue nationale est l’espagnol castillan, parlée par plus de 74% de la population. Le catalan est la deuxième langue la plus parlée au pays par près de 17% de la population (Knoema, 2021). Elle est la langue officielle de la région de la Catalogne. Depuis 2017, il y a eu un fort mouvement indépendantiste dans cette région contre le pouvoir central de Madrid (Rioux, 2017). L’Espagne compte plusieurs autres groupes linguistiques minoritaires concentrés dans leur région, dont les Basques au Pays basque et les Galiciens en Galice (Knoema, 2021). L’espérance de vie en Espagne se situe à 82 ans. L’Espagne a un haut taux de chômage de 14,8%. Le pays connaissait en 2021 une croissance annuelle de son PIB de 5,1%. Son PIB était, pour la même année, de 1,43 milliard de $US, tandis que son PIB par habitant était de 30 115 $US. 93% de la population nationale utilise Internet (La Banque mondiale, 2021). L’Espagne a un très haut taux d’alphabétisation se situant autour de 98,59% (Knoema, 2021). Le pays européen partage une frontière commune avec la France au Nord et le Portugal au Sud-Ouest. La mer Méditerranée et le détroit de Gibraltar séparent l’Espagne du Maroc (Wikipédia, 2022). L’Espagne est membre de l’Union européenne depuis 1986. Sa devise monétaire est l’euro.
Histoire
L’histoire des bibliothèques en Espagne est tributaire des courants historiques l’ayant traversé. Celle-ci commence à la suite de l’invasion de la péninsule par les tribus germaniques en 400 de notre ère, car la région n’avait pas de bibliothèque avant leur arrivée (Olszewski, 2017). C’est sous le règne des Visigoths, qui a duré environ 300 ans, que les premières bibliothèques sont établies principalement dans les monastères (Olszewski, 2017). En 711, les Maures envahissent l’Espagne et ils contrôleront l’ensemble de la péninsule à partir du Xe siècle (à l’exception de la région nord) (Olszewski, 2017). Cette civilisation est l’une des plus avancées de l’époque en Europe avec de nombreuses bibliothèques, universités et librairies aux collections incomparables (Olszewski, 2017). C’est sous leur règne que les premières universités espagnoles sont fondées, dont l’Université de Salamanca fondée en 1218 qui existe encore aujourd’hui (Olszewski, 2017).
En Espagne, la Renaissance débute avec le retour des chrétiens qui ont chassé les Maures du territoire espagnol (fin de la Reconquista en 1492). La Renaissance amène avec elle une nouvelle ère de développement. La bibliothèque Colombina, fondée par Ferdinand Colomb (fils de Christophe Colomb) en 1518, est la première à rendre sa collection accessible au public (Olszewski, 2017). De nombreuses universités sont fondées et une explosion de livres est éditée à cette époque (Olszewski, 2017). En 1712, la Bibliothèque nationale d’Espagne ouvre ses portes au même moment où le dépôt légal est instauré par les décrets royaux de 1712 et 1716 (Lara, 2011).
Un événement important du XIXe siècle pour le développement des bibliothèques est sans aucun doute la loi de désamortissement de 1835. Cette loi permet la confiscation des biens et des propriétés de l’Église (Reyes Camps, 2004). Les livres et manuscrits confisqués vont être dispersés à travers les différentes bibliothèques (Reyes Camps, 2004). Peu de temps après, en 1858, le premier réseau de bibliothèque publique est créé en Espagne au même moment où la suprématie de la bibliothèque nationale est formalisée (Olszewski, 2017).
Le développement des bibliothèques ralentit au XXe siècle à cause de la guerre civile et des deux régimes dictatoriaux que vit le pays (Olszewski, 2017). C’est après la chute du régime de Franco en 1975 et l’établissement de la constitution de 1978 que les choses changent (Terré et Fernández, 2001). Au cours des années 1980, les bibliothèques universitaires vivent un renouveau après que des fonds leur soient débloqués (Selgas Gutiérrez, 2013). Du côté de la bibliothèque nationale et des bibliothèques publiques, ce n’est qu’au cours des années 1990 que des progrès se font sentir (Selgas Gutiérrez, 2013). Ces bibliothèques se modernisent et développent davantage leur collection sous l’impulsion des divers paliers gouvernementaux.
Types de bibliothèques
Bibliothèque nationale d’Espagne (BNE)
Les origines de la Bibliothèque nationale d’Espagne (BNE) remontent en 1712. Elle servait alors de lieu de dépôt légal de l’ensemble des ouvrages produits pour le roi d’Espagne. Il faut attendre 1836 pour qu’elle soit ouverte à l’ensemble de la population espagnole (Darmois, 2006). Sa bâtisse principale est située depuis 1896 au boulevard Recoletos dans la capitale espagnole. Le second édifice se situe à Acala de Henares dans la communauté de Madrid (Selgas Gutiérrez, 2013, p.17). La superficie totale de la BNE est de 100 000 m2. Elle détenait, en 2013, 15 millions de documents imprimés, incluant des livres, et plus de 3 millions de documents sous d’autres formats. En 2010, sa collection a augmenté de 861 145 nouveaux documents grâce à l’application du dépôt légal (Selgas Gutiérrez, 2013, p.18). Le budget annuel de la bibliothèque pour la gestion des ressources physiques et humaines s’élève à plus de 20 millions d’euros (Olszewski, 2017, p.4317). La BNE possède aussi l’une des plus importantes collections d’archives musicales (incluant des partitions) couvrant le Moyen Âge jusqu’à la fin du 19e siècle (Lara, 2011, p.321). Elle reçoit annuellement plus de 25 000 nouveaux documents audiovisuels et sonores grâce au dépôt légal. Ses collections contiennent aussi des productions culturelles hispanophones de l’Amérique latine (Lara, 2011, p.321-322). Le département musical de la BNE a obtenu un plus grand rôle en 2010 avec l’essor des nouvelles technologies (Lara, 2011, p.322-323).
La BNE agit principalement à titre de bibliothèque de recherche en offrant une carte d’accès à l’ensemble de ses documents aux chercheurs, aux étudiants universitaires et aux professionnels de l’information (Darmois, 2006). Elle tend toutefois à élargir ses missions depuis l’adoption de son plan stratégique de 2006-2008. Elle vise entre autres à se développer comme un lieu d’ouverture et de culture accessible à l’ensemble des citoyens, tout en conservant sa vocation d’institution de recherche (Darmois, 2006). L’institution espagnole entretient un dialogue actif avec d’autres bibliothèques nationales en Europe, dont celle du Portugal et de la France, et en Afrique du Nord avec le Maroc. La BNE développe aussi des relations internationales en bibliothéconomie avec de nombreuses bibliothèques en Amérique latine via des projets de numérisation de documents tels la Bibliothèque numérique hispanique (Darmois, 2006).
La Biblioteca de Catalunya : bibliothèque nationale d’une communauté régionale
La région administrative de la Catalogne possède sa propre bibliothèque nationale. La région administrative fait ici figure d’exception sur la scène mondiale, avec comme l’un des seuls cas comparables le Québec, puisqu’elle possède une bibliothèque nationale sans former un pays indépendant (Leroux et al., 2009, p.32). Même si l’institution existe depuis 1914, elle a obtenu son statut de Bibliothèque nationale en 1981 selon une loi du parlement régional (Jorba, 1993, p.5). Ce titre lui permet d’être le dépôt légal des ouvrages publiés en Catalogne, la rendant particulière des autres régions administratives (Jorba, 1973, p.8). Elle est régie par le Département de la Culture de la Généralité de la Catalogne, et échappe à une gestion du gouvernement espagnol (Jorba, 1993, p.9). Elle n’a aucune influence sur l’administration des bibliothèques publiques situées sous la communauté régionale catalane (Terré et Fernandez, 2001, p.75). La Bibliothèque de la Catalogne a connu un important affaiblissement sous le franquisme. Elle a alors porté le nom de Bibliothèque centrale jusqu’en 1973 (Jorba, 1993, p.6). La Bibliothèque nationale de Catalogne, située dans la capitale régionale de Barcelone, incarne un symbole identitaire et linguistique fort qui vise à promouvoir la richesse de la culture catalane vis-à-vis la culture majoritaire du pays (Vinyet, 1991, p.437-438; Tarin, 1992). Une rénovation majeure de la bibliothèque nationale a été planifiée en 1991 afin de centraliser les tâches de la bibliothèque dans un même espace tout en permettant d’offrir un meilleur service aux Catalans. L’architecture gothique tenait à être conservée par le gouvernement catalan pour des raisons patrimoniales (Vinyet, 1991, p.439). La bibliothèque de la Catalogne est constituée aujourd’hui de plus de 3 millions de documents. Elle possède une impressionnante collection des œuvres originales de l’auteur Miguel de Cervantès datant du 17e siècle (Catalunya).
Bibliothèques universitaires
Les bibliothèques universitaires espagnoles vivent un renouveau durant les années 1980 (Selgas Gutiérrez, 2013). Une législation en 1983 octroie une importante somme à ce type de bibliothèque, ce qui leur permet d’améliorer leurs infrastructures et leurs services (Selgas Gutiérrez, 2013). Par conséquent, elles ont pu rapidement rattraper le retard accumulé sous la dictature. Elles ont été des précurseurs dans l’automatisation (Olszewski, 2017). Cette automatisation culmine au début des années 1990 et favorise la naissance de réseaux de bibliothèques qui vont fusionner en un seul nommé REBUIN (Selgas Gutiérrez, 2013).
Les bibliothèques universitaires espagnoles ont trois caractéristiques qui les rendent uniques. En premier, les universités espagnoles ont des bibliothèques décentralisées dans chaque école (Olszewski, 2017). Ces différentes bibliothèques ont souvent des collections qui se chevauchent et des opérations qui se dupliquent (Olszewski, 2017). Des structures permettant de coordonner toutes les bibliothèques d’une université ont commencé à apparaitre (Selgas Gutiérrez, 2013) et des bibliothèques centrales ont été créées récemment, mais ce processus n’a pas été entamé dans toutes les universités (Olszewski, 2017). En deuxième, la majorité des bibliothèques universitaires espagnoles sont récentes, elles ont été inaugurées durant ou après les années 1960 (Olszewski, 2017). Quelques bibliothèques universitaires existent depuis le XVIIe siècle ou avant, mais cela ne représente que le quart (Olszewski, 2017). En dernier, le style d’éducation présent dans les universités d’Espagne met l’accent sur la mémorisation des cours magistraux. Ainsi, le principe de pédagogie ouverte qui peut se faire par la recherche dans les collections a été négligé dans ce pays (Olszewski, 2017).
Bibliothèques scolaires
Les bibliothèques scolaires de niveau primaire et secondaire en Espagne souffrent de plusieurs lacunes (Llambias et al., 2009). Pour commencer, environ 20% des écoles n’ont pas de bibliothèque centralisée (Llambias et al., 2009). Les écoles restantes ont des bibliothèques centrales, mais celles-ci ne répondent pas bien aux besoins des élèves. Elles ont souvent des espaces partiellement adéquats et manquent fréquemment d’équipement informatique (Llambias et al., 2009). La collection des bibliothèques scolaires est obsolète et peu renouvelée, car les écoles ont de trop petits budgets pour l’achat de livres (Llambias et al., 2009). Seulement 8% des bibliothèques scolaires ont un.e bibliothécaire (Llambias et al., 2009). La majorité du temps, les responsabilités reliées à la bibliothèque incombent aux professeurs. Les causes de ces lacunes sont variées : la concentration du système d’éducation sur la promotion de la lecture récréative; les bibliothèques scolaires ne semblent pas être considérées comme des éléments essentiels; le manque de reconnaissance des bibliothécaires dans le système scolaire; la concentration des professeurs sur le curriculum aborder dans les manuels (Llambias et al., 2009), la décentralisation des compétences scolaires entre les paliers administratifs et le manque de continuité des politiques éducatives (Selgas Gutiérrez, 2013). À partir de 2005, une nouvelle politique collaboratrice entre administration centrale et régionale a été mise en place afin d’améliorer les bibliothèques scolaires (Selgas Gutiérrez, 2013). Ainsi, il faut souligner que ces bibliothèques ont progressé à certains niveaux (Llambias et al., 2009).
Bibliothèques publiques
En Espagne, des bibliothèques publiques sont mises en place dès 1838, pour conserver les livres des institutions religieuses (Tarin, 1992). Un système de bibliothèques publiques se met en place à partir de 1858 (Olszewski, 2017). Au 20e siècle, on crée de plus en plus de bibliothèques dans les villes et en milieu rural (Tarin, 1992). En 1931 est créée la Commission pour l’échange et l’acquisition de livres pour les bibliothèques publiques qui permit également la création de bibliothèques publiques (Olszewski, 2017).
Bibliothèques centrales des communautés autonomes
Ces bibliothèques sont des bibliothèques publiques régionales des communautés autonomes. Elles se rapprochent de la bibliothèque nationale pour leurs missions, mais elles ont pour but de collecter seulement ce qui concerne leur région (Olszewski, 2017). Ces bibliothèques sont parmi les plus grandes bibliothèques patrimoniales espagnoles (Reyes Camps, 2004). En Espagne, il y en a treize, une pour presque chaque communauté autonome et ce sont ces dernières qui les créent et les gèrent (Olszewski, 2017).
Bibliothèques publiques d’État, dites provinciales
Les Bibliothèques publiques d’État (BPE) sont des bibliothèques provinciales à la tête de toutes les bibliothèques de leur province (Tarin, 1992). Il existe 52 BPE en Espagne, une pour chaque province (Selgas Gutiérrez, 2013). Elles sont situées dans les capitales de ces mêmes provinces (Terré et Fernandez, 2001). Les BPE sont financées par l’État et jouent un rôle de coordination pour les autres bibliothèques publiques (Tarin, 1992). L’État est propriétaire des bâtiments et les communautés autonomes assurent leur gestion (Olszewski, 2017). Les BPE ont pour rôle la conservation patrimoniale, la promotion et la diffusion de la lecture (Terré et Fernandez, 2001).
Bibliothèques publiques, dites municipales
Les communautés autonomes et les municipalités créent ensemble les bibliothèques publiques municipales et ces dernières s’articulent autour de leur BPE (Terre et Fernandez, 2001). En 2017, il y avait 4043 unités administratives et 4812 points de services de ces bibliothèques publiques municipales (Olszewski, 2017). Les bibliothèques publiques municipales sont les plus nombreuses en Espagne, elles sont administrées localement et reçoivent du soutien financier des communautés autonomes (Selgas Gutiérrez, 2013). En 2017, seul.e.s 21% des employé.e.s de bibliothèques étaient des bibliothécaires professionnel.le.s (Olszewski, 2017). Les bibliothèques publiques ont pour mission de lutter pour l’égalité des chances, la diversité et apporter une aide aux besoins d’information (Reyes Camps, 2004). En 1983, 63% de la population espagnole avait accès à une bibliothèque publique, et en 2001, ce nombre monte à 97,3% (Selgas Gutiérrez, 2013). En 2001, les bibliothèques publiques avaient 39,5 millions de documents et en 2013, 75 millions (Selgas Gutiérrez, 2013). Les collections des bibliothèques publiques intègrent de plus en plus des documents audiovisuels et électroniques et entre 2001 et 2010, leur achat a augmenté de 239% (Selgas Gutiérrez, 2013). En 2005, un plan de dotation par le ministère de la Culture et les communautés autonomes a accordé 165 millions d’euros sur 7 ans aux bibliothèques publiques (Selgas Gutiérrez, 2013). Cela a augmenté le ratio de livre par habitant.e, atteignant 1,62 en 2010, et les visites ont augmenté de 68% (Selgas Gutiérrez, 2013). Les bibliothèques publiques, cependant, manquent de coordination (Selgas Gutiérrez, 2013). En 2017, les dépenses annuelles pour les bibliothèques publiques municipales étaient d’environ 114 millions d’euros (Olszewski, 2017).
Cadre éducatif en sciences de l’information et des bibliothèques
L’éducation en bibliothéconomie en Espagne remonte à il y a plus d’un siècle et demi. En 1856, une école est créée, donnant un diplôme pour devenir archiviste-bibliothécaire, mais cette formation ne se donne plus après 1900 (Olszewski, 2017). C’est seulement en 1915, qu’une école de formation pour les bibliothécaires, intitulée l’École supérieure des bibliothécaires est finalement créée en Catalogne (Tarin, 1992). Pendant longtemps, elle fut la seule école spécialisée d’Espagne enseignant cette formation. En 1964, liée avec la Direction générale des archives et des bibliothèques est créée à Madrid, l’école des documentalistes (Tarin, 1992). En 1978, le gouvernement espagnol autorise les universités à donner un diplôme en bibliothéconomie et sciences de l’information (Olszewski, 2017). C’est au début des années 1980 que, pour les bibliothécaires et documentalistes, un premier niveau universitaire d’enseignement a été introduit (Gomez Hernandez, 1998). La formation se met donc en place avec la création d’écoles universitaires en bibliothéconomie et documentation (Tarin, 1992). Plusieurs écoles universitaires de bibliothéconomie vont ouvrir sur le territoire espagnol. En 1983, celle de Grenade ouvre, en 1987, celle de Salamanque, en 1989, celle de Murcie, en 1990 celle de Saragosse et en 1991 celles de Madrid, des universités Complutense et Carlos-III (Tarin, 1992). En 1991 est créée une licence de documentation (Gomez Hernandez, 1998). Il existe donc pour la bibliothéconomie des études de premier cycle qui sont une licence en information et documentation qui se donne dans douze universités espagnoles (Selgas Gutiérrez, 2013). Il y a en tout trois niveaux d’éducation en sciences de l’information, l’équivalent d’un baccalauréat (Diplomatura) de trois ans, une maîtrise (Licenciatura) de quatre-cinq ans et parfois un doctorat (Olszewski, 2017). Douze universités offrent le baccalauréat, onze la maîtrise et huit le doctorat (Olszewski, 2017).
Pour ces écoles universitaires, l’enseignement de la bibliothéconomie est au cœur du programme. La documentation, la bibliographie, l’analyse, les langages et l’informatique documentaires sont également enseignés (Tarin, 1992). Les écoles ont leurs particularités. L’école de Barcelone est la seule à imposer l’étude de la technologie scientifique, de l’histoire et de la littérature à ses étudiant.e.s (Tarin, 1992). Les écoles de Grenade, Barcelone et l’Université Carlos-III à Madrid cherchent un équilibre entre bibliothéconomie et documentation, alors que celles de Salamanque et Saragosse donnent beaucoup d’importance à l’archivistique (Tarin, 1992). L’enseignement de la bibliothéconomie en Espagne est divisé en plusieurs domaines : l’analyse documentaire, la bibliographie et les sources d’information, le système de stockage et de récupération, les langages documentaires, etc. (Gomez Hernandez, 1998). Les étudiant.e.s y apprennent les missions des institutions qu’ils et elles représentent ainsi que la gestion de ces unités d’information documentaire et plusieurs cours portent sur ces deux aspects (Gomez Hernandez, 1998). La gestion tient une place importante dans les programmes des facultés et écoles de bibliothéconomie et documentation espagnoles, offrant des cours avec des intitulés de cours ayant les mots gestion et administration dans leurs titres (Gomez Hernandez, 1998). Plusieurs matières optionnelles sont également proposées telles des cours sur les fonds anciens, des formations spécialisées qui durent une semaine portant sur le catalogage des ouvrages patrimoniaux, etc (Terré et Fernandez, 2001).
Association des bibliothèques
Historiquement, la première association de bibliothécaire professionnel à voir le jour en Espagne est la Facultad de Archivistas, Bibliotecarios y Antecuarios; elle a été fondée en 1858 (Olszewski, 2017). Cette association existe toujours aujourd’hui. L’Espagne compte une multitude d’association de bibliothèque ou d’association de bibliothécaires professionnels. Ces associations ont soit une portée nationale ou régionale.
Au niveau national, la plus grosse association de bibliothèques est la Federación Española de Sociedades de Archivística, Biblioteconomía, Documentación y Museística (FESABID) (Olszewski, 2017). Cette association fondée en 1988 est une fédération qui regroupe 14 associations de bibliothèques et qui collabore avec de nombreuses autres organisations du milieu des sciences de l’information (Olszewski, 2017). La FESABID a plus de 7000 membres inscrits qui se réunissent deux fois par année lors de conférences (Olszewski, 2017). Les conférences tenues par la FESABID sont les plus grands rassemblements de professionnels des sciences de l’information en Espagne. La FESABID est membre d’association de bibliothèques internationales reconnue comme la Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques (IFLA) et du Bureau européen des associations de bibliothèques, de l’information et de la documentation (EBLIDA) (Olszewski, 2017). L’Espagne compte d’autres associations de bibliothèques nationales comme la Federación de Asociaciones de Archiveros, Bibliotecarios, Museólogos y Documentalistas et la Asociación Española de Documentación e Información, mais celles-ci n’ont pas la même ampleur que la FESABID (Olszewski, 2017).
Au niveau régional, les associations de bibliothèques sont séparées en fonction des régions administratives du pays. Ce n’est pas toutes les régions qui ont leurs associations, mais un grand nombre d’entre elles en ont (Olszewski, 2017). Par conséquent, il y a un peu moins de 17 associations de bibliothèques régionales. Nous n’en mentionnerons que quelques-unes. L’association de bibliothèque de la Catalogne, nommée la Oficial de Bibliotecaris-Documentalistes de Catalunya, a été fondée en 1985 (Olszewski, 2017). Elle publie annuellement une revue appelée le Bibliodoc et de manière trimestrielle la revue Item : revista de Biblioteconomia i Documentació. La Associació Valenciana d’Especialistes en Informació est l’association de bibliothèque de la région de Valence fondée en 1993 (Olszewski, 2017). Elle publie deux fois par mois la revue Métodos de Información (Olszewski, 2017).
Le pays compte aussi quelques associations de bibliothèques spécialisées tel l’Asociació de Bibliotecas y Bibliotecarios de Arquitectura qui regroupe les bibliothèques d’architecture et l’Asociacióñola Documentación Musical qui rassemble les bibliothèques de musique.
Cadre législatif
Le cadre législatif actuel régissant les bibliothèques en Espagne date de la période postfranquiste. Selon l’article 148,1, 15 de la Constitution espagnole de 1978, chaque région administrative a le mandat d’assurer un accès à la lecture par un réseau de bibliothèques publiques. Ce rôle est renforcé par la loi nationale sur le Patrimoine historique espagnole de 1985 (Terré et Fernandez, 2001, p.73). Une loi sur le fonctionnement des Bibliothèques publiques d’État est quant à elle élaborée en 1989. L’ensemble des bibliothèques espagnoles se retrouve sous la houlette du ministère de la Culture, de l’Éducation et des Sports (Selgas Gutiérrez, 2013, p.15). Les lois et les décrets mis en place par ce ministère influencent directement les politiques des bibliothèques espagnoles. Le gouvernement espagnol assure un contrôle minimum pour maintenir les services des bibliothèques dans ses 17 communautés. La loi 7/1985 assure aux citoyens des villes et villages de plus de 5000 habitants un accès aux services culturels d’une bibliothèque régionale administrée par leur municipalité (Selgas Gutieréz, 2015, p.16). La loi 10/2007 adoptée le 22 juin 2007 garantit l’accès des Espagnol.e.s aux services des bibliothèques gratuitement (Selgas Gutierréz, 2015, p.15). Lors de cette même année, le gouvernement national a mis en place le décret royal 1572/2007 pour procéder à l’uniformisation du système de gestions informatisées des documents par le logiciel Koha (Selgas Gutierréz, 2015, p.16). Toutefois, la nature décentralisée du pays permet la création d’une législation de bibliothèque publique régionale pour chacune des communautés qui le désire. La Catalogne est une pionnière en la matière par l’élaboration de sa Loi sur la bibliothèque adoptée le 22 avril 1981 qui affirme légalement le caractère national de la Bibliothèque de la Catalogne pour sa région (Terré et Fernandez, 2001, p.74). Les universités espagnoles se sont vues accroître leur autonomie, incluant la gestion de leur bibliothèque, par la Loi 11/1983 sur la Réforme organique universitaire de 1983 (Olszewski, 2017, p.4315).
La mission de la BNE est, quant à elle, clairement établie par un décret royal. Au cours de ses 300 ans d’histoire, les mandats de la BNE ont été définis par plus de 10 décrets royaux (Gobierno de España, 2015. p.25656). Le décret le plus récent date du 24 mars 2015. La loi 1/2015 insiste sur le rôle central que doit jouer la BNE quant aux impacts du virage numérique et de la mondialisation sur les bibliothèques (Gobierno de España, 2015, p.25654-25655). Elle souligne que la BNE est la gardienne de la culture et du patrimoine espagnol et représente culturellement le pays dans le monde. La loi insiste sur le rôle de coordination de la BNE sur l’ensemble du réseau des bibliothèques publiques d’État espagnoles (Olszewski, 2017, p.4317). Elle garantit une grande autonomie de l’institution envers le gouvernement central (Gobierno de España, 2015, p.25659). L’administration de la BNE est divisée en trois organes décisionnels. La présidence est intimement liée au ministère de la Culture, de l’Éducation et des Sports. Le conseil du patronat décide collégialement des membres de la présidence et représente l’institution au pays. La direction s’occupe de la gestion de l’organisme (Gobierno de España, 2015, p.25660-25662). La gestion du dépôt légal en Espagne est assurée par la BNE depuis 1716. La loi 8/2022 sur le dépôt légal, adoptée le 4 mai 2022 par le gouvernement espagnol, est une adaptation de celle produite en 1957. La BNE est responsable de coordonner les dépôts légaux des différentes communautés autonome, tout en leur laissant le soin d’administrer la gestion de leurs documents. Le dépôt légal comprend des livres, des ouvrages bibliographiques, des productions artistiques, des éditoriaux, des documents multimédias et numériques produits en Espagne (BNE, 2022).
Le 1er août 2014, un décret royal force les bibliothèques espagnoles à payer une taxe au gouvernement national en fonction de leur nombre d’usagers et des emprunts, imitant ainsi plusieurs pays de l’UE (Léger, 2014). En Espagne, le droit d’auteur est de 70 ans après le décès d’un auteur ou autrice. L’œuvre tombe ainsi dans le domaine public, mais ne peut pas être modifiée (Melchior). Chaque bibliothèque doit désormais verser près de 0,01 euro par usagers qui utilisent leurs services, et 0,01 euro pour chaque document physique sujet au droit d’auteur. À cela s’ajoute 0,16 euro pour chaque document obtenu par une prestation publique (Moraleja, 2014). Plusieurs groupes et associations de professionnels de l’information, dont l’Association professionnelle des archivistes, bibliothécaires et documentalistes de Madrid, ont dénoncé cette loi (Léger, 2014).
Informations complémentaires ou particularités
L’époque franquiste (1939-1975) ne fut pas la meilleure pour le développement des bibliothèques espagnoles. Avec l’arrivée au pouvoir des franquistes, l’administration de l’Espagne est réorganisée (Tarin, 1992). La répression et la censure marquent les bibliothèques et celles-ci sortent de ces décennies sans qu’un système national de bibliothèques soit bien mis en place (Tarin, 1992). Les années de dictature ont empêché les bibliothèques d’avoir une évolution bénéfique et favorable pour leur système (Terré et Fernandez, 2001). Plusieurs décennies après la fin de ce régime, au début des années 2000, le nombre d’entrées dans les bibliothèques espagnoles demeure encore plus bas que celui des autres pays européens (Terré et Fernandez, 2001). Cela peut s’expliquer notamment par l’absence de volonté politique pour les bibliothèques durant l’époque franquiste (Terré et Fernandez, 2001). Cette réalité de régime dictatorial jusqu’aux années 1970, est inusitée et a retardé le développement des bibliothèques espagnoles comparé à celles de la France et du Royaume-Uni.
Il est aussi pertinent de soulever que la National Authorities on Public Libraries in Europe (NAPLE), soit une association européenne qui s’occupe du développement de la lecture publique en bibliothèque, siège à Madrid (Blin, 2013, p.324). De ce fait, la bibliothéconomie est un moyen pour l’Espagne pour affirmer son rôle et son influence au sein de l’Union européenne.
Références
La Banque Mondiale (2021). Espagne-vision d’ensemble. La Banque Mondiale. https://donnees.banquemondiale.org/pays/espagne
Biblioteca Nacional de España (2022). Depósito legal. Biblioteca Nacional de España. https://www.bne.es/es/conocenos/adquisiciones/deposito-legal
Blin, F. (2013). La coopération européenne entre bibliothèques. Dans F. Blin (dir.), Les bibliothèques en Europe : Organisation, projets, perspectives (p.321-334). Éditions du Cercle de la Librairie.
Cataluyna. Bibliothèque Nationale de Catalogne. Salle Cervantina. Cataluyna. https://www.catalunya.com/bibliotheque-nationale-de-catalogne-salle-cervantina-17-16003-540563?language=fr
Darmois, M-N. (2006, décembre). Regard sur la Bibliothèque nationale d’Espagne. Chroniques de la Bibliothèque nationale de France, (décembre 2006). http://chroniques.bnf.fr/archives/decembre2006/numero_courant/cooperation/bne.htm
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