9 Kenya
(Christopher Astudillo, Alejandro Fonseca, Francis Grenier et Christian Grimaldi)
Profil du pays
La République du Kenya est un pays situé en Afrique de l’Est, aux frontières de la Somalie, l’Éthiopie, le Soudan du Sud, l’Ouganda et la Tanzanie. La capitale et la plus grande métropole est Nairobi, située au sud du pays avec ses plus de 4 millions d’habitants. Le pays regroupe une grande diversité ethnique avec une majorité de Kikuyu, Luhya et Kalenjin. Les langues officielles du Kenya sont l’anglais et le Kiswahili. En 1895 l’Empire britannique établit le protectorat de l’Afrique de l’Est et en 1920, crée la colonie du Kenya nommée ainsi en référence du mont Kenya, la plus grande montagne de la région (Central Intelligence Agency [CIA], 2023). L’occupation a causé de nombreuses tensions entre les autorités britanniques et les forces de la Kenya Land and Freedom Army (KLFA) communément appelées Mau Mau (CIA, 2023). Ces tensions ont ultimement mené à l’indépendance du pays en 1963 avec la subséquente élection de Jomo Kenyatta, le premier président de la République du Kenya. Le pays connaît depuis le milieu du 20e siècle une croissance fulgurante de sa population causant une pression sur le marché du travail, les services sociaux et les ressources naturelles (CIA, 2023). Aujourd’hui, les opportunités d’emploi en bibliothéconomie ne sont pas suffisantes comparée au nombre élevé de gradués dans la matière (Mwanzu et Wendo, 2021, p. 6). Selon Durrani (2014, p. 87), les services bibliothécaires et ses institutions étaient présents bien avant l’indépendance du pays. Cependant, en reprenant les propos de l’IFLA, Durrani (2014, p. 89) explique que le développement des bibliothèques publiques contemporaines du Kenya est intimement lié à l’influence de la colonisation britannique : « Britain felt that an informed populace would most likely maintain democratic traditions and would be most open to western influences. For this reason it supported establishment of libraries and training of librarians »
Histoire
Nous n’avons aucune trace de bibliothèques au Kenya dans sa période précoloniale. Cela est surtout dû au fait que les informations étaient transmises d’une personne à l’autre par le biais des traditions orales et de l’art plutôt que par des écrits. Certains pensent que Kilwa, sur la côte est, aurait été le seul endroit où une bibliothèque aurait existé durant cette période (IFLA/FAIFE, 1999). Elle aurait servi une petite classe alphabétisée de la communauté.
Le gouvernement colonial n’a pas soutenu la création de bibliothèques publiques. Le développement des bibliothèques publiques a suivi les modèles raciaux prédominants à cette époque et celles-ci n’étaient pas accessibles aux Africains. En 1903, la Seif bin Salim Public Library and Free Reading Room s’établit à Mombasa par des philanthropes provenant principalement des communautés indiennes. Bien que cette bibliothèque fût ouverte à tous, ses collections reflétaient plutôt les besoins des communautés sud-asiatiques en raison des biais générés par les contributeurs (Musisi, 1984, cité dans Durrani, 2014). En 1931, la Macmillan Memorial Library de Nairobi ouvre ses portes, mais son usage était exclusivement pour la communauté européenne (voir Cadre législatif). En 1942, la Desai Memorial Library est établie par la communauté indienne, pour la communauté indienne. Après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement colonial britannique commence à montrer un certain intérêt pour améliorer les conditions sociales de ses colonies, surtout au niveau de l’éducation. Cela coïncide avec le réveil du nationalisme africain et d’importantes agitations politiques contre le régime colonial (Ojiambo et Kasalu, 2015). Dans cette optique, en 1946, Elspeth Huxley présente son rapport qui recommande que chacun des pays d’Afrique de l’Est doive créer des bibliothèques centrales qui formeraient le noyau des bibliothèques provinciales ou régionales (Otike, 2004). En 1948, une autre recommandation est mise en application avec la création du East African Literature Bureau (EALB).
Le tournant dans le développement des bibliothèques au Kenya vient avec les années 1960. Avec l’indépendance en 1963, les bibliothèques publiques du Kenya deviennent accessibles à tous, sans distinction d’âge, de religion, de race ou de statut social. À la suite de la recommandation du consultant en bibliothèque du British Council, Sydney Hockey, le parlement a promulgué le Kenya National Library Service Act en 1965 (Chapitre 225), parmi les lois du Kenya. La direction du KNLS est devenue opérationnelle deux ans plus tard, en héritant des ressources et des programmes du EALB (Otike, 2004). Au cours des années 1970, davantage de bibliothèques publiques, spécialisées et scolaires ont été créées. Les années 1980 ont été marquées par la croissance et l’expansion de tous les types de bibliothèques dans le pays, résultant à la création de nouvelles institutions universitaires et du besoin accru de services de bibliothèque et d’information (Ojiambo et Kasalu, 2015). Actuellement, le KNLS a établi 64 bibliothèques annexes dans trente-trois comtés (Kenya National Library Service, s.d.).
Types de bibliothèques
Bibliothèques nationales
Comme ce fut le cas pour plusieurs pays d’Afrique, le Kenya a vécu sous un régime colonialiste et cette réalité a laissé des traces de son passage même après que le Kenya reçoive son indépendance en 1963 (McDonald et Levine-Clark, 2017, p. 34 et Ojiambo et Kasalu, 2015, p. 3). En effet, selon McDonald et Levine-Clark (2017, p. 34), la bibliothèque nationale du Kenya a reçu des Britanniques un modèle rigide de ce que doit être la bibliothéconomie. À cette époque, le modèle laissé par les Britanniques conçoit la bibliothèque nationale comme le point central du réseau pour toutes les bibliothèques du pays et conçoit de façon plus générale les bibliothèques comme une condition d’accès à une société saine et moderne (McDonald et Levine-Clark, 2017, p. 34). Cependant, la vision britannique contient aussi des restrictions ethniques à l’accès (McDonald et Levine-Clark, 2017, p. 34). À la suite de l’influence apportée par le manifeste de l’UNESCO au sujet des bibliothèques publiques puis des traditions britanniques et américaines, la bibliothèque nationale prend la forme d’un réseau faisant la gestion de branches locales, de commandes postales et de plusieurs formes de bibliothèques mobiles qui atteignent les communautés éloignées en bicyclette ou en chameaux (McDonald et Levine-Clark, 2017, p. 34). Les Kenya National Library Services ont 60 points de services dispersés à travers le Kenya pour servir sa population (Ojiambo et Kasalu, 2015, p. 4). De plus, les Kenya National Library Services offrent aussi un service d’adhésion aux bibliothèques scolaires locales, celles-ci peuvent faire l’emprunt de 200 documents par trimestre contre un abonnement au coût de 100 shillings kényans (Ng’ Ang’ A, 1982, p. 305). En 1965, les Kenya National Library Services se voient accorder le titre officiel de bibliothèque nationale et c’est en 1987 qu’ils se voient accorder la responsabilité d’opérer le dépôt légal des œuvres littéraires kényanes (Otike, 2004, p. 4).
Cependant, selon McDonald et Levine-Clark (2017, p. 35) la bibliothèque nationale du Kenya ne remplirait pas ses objectifs en termes de dépôt légal. Ce qui pourrait s’expliquer par les difficultés vécues par les industries locales du secteur du livre et de l’imprimé (Ojiambo et Kasalu, 2015, p. 9).
Bibliothèques publiques
Le Kenya a hérité des Britanniques une tradition bibliothéconomique qui valorise la bibliothèque publique et sa vocation éducative (McDonald et Levine-Clark, 2017). Cependant, ce n’est qu’à la suite de l’obtention de l’indépendance du pays que les personnes à la peau noire seront admises dans les bibliothèques publiques du Kenya (Otike, 2004, p. 4).
Avant cette date, seulement les Européens et les Asiatiques étaient admis dans les bibliothèques publiques du Kenya (Otike, 2004, p. 4). Par exemple, la première bibliothèque publique du Kenya a été la Sir Bin Salim Public Library and Reading Room qui a été fondée par un philanthrope en 1903 dans l’objectif de remplir les besoins informationnels des populations asiatiques du Kenya (Otike, 2004, p. 2). Ce n’est qu’en 1948 qu’une première bibliothèque publique permet aux populations africaines d’être admises entre ses murs (Otike, 2004, p. 2).
Après l’indépendance du pays, les bibliothèques publiques qui étaient avant cette date réservées aux communautés européennes et asiatiques commencent à admettre les populations africaines (Otike, 2004, p. 4). Cependant, plusieurs bibliothèques publiques exigeants des frais pour l’accès au service d’emprunt de documents et pour l’accès au service de référence, ce qui selon Ng’ Ang’ A (1982, p. 304-305) a pour effet d’avoir limité leur impact sur la population et d’avoir limité l’accès des populations africaines moins nanties.
En 1967, les Kenya National Library Services prennent en charge de mettre sur pied un service de bibliothèques publiques à travers le Kenya (Otike, 2004, p. 4). Pour atteindre cet objectif, ils vont mettre sur pied un réseau de points de services, un service de livraison postale et plusieurs formes de bibliothèques mobiles pour atteindre les endroits difficiles d’accès où seule la livraison en chameaux ou à vélo est possible (Otike, 2004, p. 4). Les services de bibliothèques publiques au Kenya sont principalement offerts par deux organisations, soit les Kenya National Library Services et la MacMillan Memorial Library (Otike, 2004, p. 4). La MacMillan Memorial Library dessert la région de Nairobi et ses alentours tandis que les Kenya National Library Services ont pour ambitions de desservir la totalité de la population kenyane (Otike, 2004, p. 4).
Bibliothèques scolaires
Mutungi (2012, p. 152) considère qu’on en sait très peu à leur sujet puisqu’il y a peu de données officielles sur les bibliothèques scolaires du Kenya. En effet, on ne sait pas combien il y en a ou quel est leur état exact puisqu’il n’y a pas de recensements ou de statistiques officielles (Mutungi, 2012, p. 152). Cependant, on sait que la plupart d’entre elles sont dans un état déplorable puisqu’il y a un manque de budget et de directives politiques gouvernementales concernant ce type de bibliothèques (Mutungi, 2012, p. 152). La création, la fourniture et la gestion des bibliothèques scolaires sont laissées à l’initiative de la direction de chaque école (Rosenberg, 1993, p. 37). En effet, le gouvernement ne soutient pas la mise en place d’infrastructures bibliothéconomiques, l’acquisition de ressources d’informationnelles pour la bibliothèque, ni même la rémunération du personnel travaillant dans celles-ci (Mutungi, 2012, p. 164). L’unique soutien qu’elles reçoivent provient de la Bibliothèque nationale, qui permet à chaque école d’emprunter un lot de 200 livres par trimestre moyennant une somme de 100 shillings (un peu moins d’un dollar canadien) à titre d’abonnement annuel, mais peu d’écoles bénéficient de ce service (Ng’Ang’A, 1982, p. 305). Cependant, il ne semble pas s’agir d’un cas isolé. En effet, selon la Banque mondiale (2008, p. 72), la plupart des pays africains disposent d’un faible système de bibliothèques scolaires.
La qualité des services de bibliothèque scolaire au Kenya varie d’une école à l’autre (Otike, 2004, p. 5). Les écoles les plus riches, qui accueillent les communautés diplomatiques, les immigrants, ainsi que les Kenyans les plus nantis, disposent de bibliothèques bien fournies et dotées de ressources multimédias (Otike, 2004, p. 5). Ces écoles disposent de services de bibliothèque qui peuvent être comparés à ceux des pays occidentaux et emploient des bibliothécaires qualifiés avec des salaires compétitifs (Otike, 2004, p. 5). Parmi la majorité restante des bibliothèques scolaires, on peut distinguer une petite poignée de bibliothèques soit les écoles initialement destinées aux Européens et les écoles fondées pendant la période coloniale qui ont des collections bien plus complètes que celles créées récemment puisqu’elles ont été développées sur la base des normes britanniques (Mulaha, 1986, p. 11). Les autres sont simplement mal équipés et désorganisés, avec un personnel non qualifié, non rémunéré ou sous-payé (Nganga, 1982, p. 305). Ni les bibliothèques scolaires (ni leurs bibliothécaires) n’ont d’association, ni aucune forme d’organisation officielle, et la collaboration entre elles est plutôt rare, comme mentionné dans la section sur les associations de bibliothèques, il n’y a eu qu’une première tentative isolée d’association en 1967, mais elle n’a jamais abouti (Musisi, 1978, p. 347).
Selon Judith Kasalu (2015, p. 9), pour inverser la situation critique des bibliothèques scolaires, il y a des défis à relever : effacer l’image superflue des bibliothèques face à une culture orale forte ; revaloriser la profession et transmettre l’importance clé parmi la classe politique qui autorise le budget, et le public; trouver des sources de financement et des matériaux appropriés au public et au contexte ; augmenter la formation bibliothécaire ; augmenter la coopération entre les bibliothèques/bibliothécaires ; adopter de nouvelles technologies ; et plaider pour plus de législation et de réglementation.
Bibliothèques universitaires
Selon McDonald et Levine-Clark (2017, p. 36), les bibliothèques universitaires africaines se sont rapidement multipliées depuis les années 1960 où plusieurs pays africains ont obtenu leur indépendance (McDonald et Levine-Clark, 2017, p. 36). D’ailleurs, celles-ci vivent plusieurs difficultés comme le manque de financement adéquat à l’approvisionnement des collections et à l’abonnement aux périodiques scientifiques. Selon ces mêmes auteurs (McDonald et Levine-Clark, 2017, p. 36), l’Université Kenyatta à Nairobi au Kenya fait office de modèle quant aux méthodes utilisées pour contourner les difficultés que rencontrent les bibliothèques universitaires africaines. En effet, la bibliothèque universitaire de l’Université Kenyatta fait partie de plusieurs associations locales comme le Kenya Library and Information Services Consortium et le Kenya Library Association (McDonald et Levine-Clark, 2017, p. 36). De plus, cette bibliothèque offre un catalogue disponible en ligne via le logiciel libre KOHA, un répertoire institutionnel, 370 000 documents, des périodiques et des ordinateurs à la disposition des usagers (McDonald et Levine-Clark, 2017, p. 36). De plus, celle-ci utilise, conçoit et fait la promotion de l’utilisation du logiciel libre parmi ses usagers (McDonald et Levine-Clark, 2017, p. 36).
Cependant, malgré les efforts mentionnés par McDonald et Levine-Clark (2017, p. 35-36), ceux-ci affirment que la majorité des bibliothèques universitaires d’Afrique subsaharienne n’ont pas les moyens financiers nécessaires pour acquérir une collection assez substantielle et d’assez bonne qualité pour soutenir les activités de recherche et d’enseignement sans que ces dernières s’en trouvent affectées. Ce qui fait écho au texte de Kwanya, Stilwell et Underwood (2014) qui soulèvent la problématique de l’abondance de littérature grise par rapport à la littérature scientifique dans les collections des universités du Kenya. De plus, selon Ojiambo et Kasalu, (2015, p. 9) l’offre de littérature et de publications locales dans les bibliothèques du Kenya et particulièrement dans ses bibliothèques universitaires serait très faible puisque près de 90% de leurs collections seraient d’origine britannique ou indienne. Ce qui pourrait en partie s’expliquer par les difficultés vécues par les industries locales du secteur du livre et de l’imprimé (Ojiambo et Kasalu, 2015, p. 9).
Cadre éducatif en sciences de l’information et des bibliothèques
Selon Otike, l’origine de la bibliothéconomie en Afrique provient du colonialisme : « Colonial governments introduced Western education which entailed among others, reading and writing » (2017, p. 66). En effet, le besoin pour une formation bibliothéconomique devient plus prégnant avec l’avènement des écoles basées sur l’éducation occidentale qui sont souvent, munies d’une bibliothèque bien nantie. Au Kenya, l’inauguration d’écoles dédiées aux populations blanches augmente initialement le besoin d’un personnel bibliothécaire qualifié. Dû au manque de formation, l’État fait parvenir ces rares professionnels de l’empire pour fournir à la demande (Otike, 2017, p. 67). Cependant, avec le développement socio-économique des colonies, la demande s’agrandit et les institutions documentaires publiques mettent pression sur les gouvernements afin d’établir des formations au niveau local. Avant 1963, presque tous les programmes d’éducation en bibliothéconomie étaient conduits à l’extérieur du pays, surtout au Royaume-Uni (Otike 2017, p. 69).
L’UNESCO a joué un grand rôle dans l’élaboration de programmes académiques en bibliothéconomie, particulièrement dans l’Afrique subsaharienne anglophone (Otike 2017, p. 68). L’organisme considérait qu’il n’était pas économiquement efficace d’établir des écoles en sciences de l’information dans tous les États africains. Ils ont alors recommandé l’inauguration d’écoles régionales affiliées aux universités. Suite à de nombreux séminaires entre 1953 et 1963, L’East African School of Librarianship (EASL) est établi sur le territoire Ougandais en 1963 pour desservir plusieurs pays incluant le Kenya (Otike 2017, p. 68). Au départ, deux programmes étaient offerts : un certificat en bibliothéconomie de six mois et un diplôme en bibliothéconomie de deux ans équivalent à la qualification ALA du Royaume-Uni (Otike 2017, p. 69). Au Kenya, les détenteurs du diplôme étaient considérés comme des professionnels de l’information ainsi que d’être au même niveau que les graduées universitaires (Otike 2017, p. 69). Cette organisation académique régionale a cependant été de courte durée. Suite à l’entrée au pouvoir de Idi Amin en Ouganda, de nombreux étudiants et professeurs de la EASL ont quitté les lieux et en 1976, le Kenya décide de retirer tous ses élèves de l’école, marquant la fin du service régional de l’institution (Otike 2017, p. 69).
Aujourd’hui, le Kenya détient une impressionnante quantité d’écoles publiques et privées offrant des formations en sciences de l’information. Les universités publiques de Moi, d’Egerton, de Kisii, de Laikipia, de Kenyatta ainsi que la Technical University of Kenya offre tous des formations universitaires en bibliothéconomie alors que la Catholic University of East Africa et le Kenya Methodist University offrent la formation au niveau privé (Otike 2017, p. 72). L’université de Moi est d’ailleurs la meilleure institution et la mieux établie en matière d’éducation en sciences de l’information à travers l’Afrique de l’Est (Otike 2017, p. 72). L’organisme est représenté par 40 professeurs, dont 15 détenteurs de doctorats, et offre des programmes de niveau baccalauréat jusqu’au doctorat dans quatre disciplines spécialisées : le Département de la bibliothéconomie, le Département de l’archivistique, le Département des médias et de l’édition et le Département de la technologie informationnelle (Otike 2017, p. 72).
Plus récemment encore, le Kenya connaît une effervescence dans l’offre de formations supérieures au niveau universitaire. Selon Otike et Barát (2021) l’université de Moi était la seule à offrir le doctorat en sciences de l’information dans les années 2010, aujourd’hui ce sont 17 universités qui offrent la formation à tous les niveaux. De plus, le curriculum offert par les institutions prend en considération l’évolution des technologies numériques et son impact sur le monde documentaire. Au Kenya, la Commission de l’éducation universitaire a établi des lignes directrices pour encourager l’élaboration de librairies numériques au sein des institutions bibliothécaires physiques (Otike et Barát, 2021). Bien que l’avancement des sciences de l’information au Kenya soit lent dû au manque de financement, au manque de support des entités universitaires, à l’absence de politiques directrices sur les nouvelles tendances du milieu et au manque de compétences du personnel, il en demeure néanmoins que le pays se développe remarquablement dans le domaine comparé aux autres institutions bibliothéconomiques de l’Afrique (Otike et Barát, 2021).
Associations de bibliothèques du Kenya
Actuellement, il n’existe que deux associations de bibliothèques au Kenya, la Kenya Library Association (KLA) et la Christian Association of Librarians in Africa (CALA-K). Les associations de bibliothèques au Kenya jouent un rôle essentiel dans la promotion du développement, de l’avancement et de la défense des bibliothèques et des services d’information dans tout le pays. Ces associations constituent des plateformes essentielles pour les professionnels, les éducateurs, les chercheurs et les passionnés, qui peuvent ainsi collaborer, échanger des idées et faire évoluer les bibliothèques au Kenya.
Dans leur célèbre article intitulé Evolution of Library Associations in Kenya, Musisi et Abukutsa (1978) racontent l’histoire de la KLA, dont ils sont des membres actifs et qui est, à ce jour, la seule association laïque officielle du pays. Les auteurs reconnaissent que les premières bibliothèques et associations de bibliothèques au Kenya remontent aux premiers jours de la domination coloniale du Kenya et des colons blancs, la population autochtone n’étant pas admise (p. 345). Le premier document faisant mention d’une quelconque organisation active de bibliothécaires est un mémorandum intitulé "Libraries in the Union of South Africa, Rhodesia and Kenya Colony" envoyé à la Carnegie Corporation à New York et signé par Milton J. Ferguson, un bibliothécaire qui au nom du "Kneya Libraries Scheme Committee", exprimait son inquiétude quant au manque de livres et de services de bibliothèque pour les communautés européennes dans ces régions [l’actuel Kenya] (p. 345). Mais ce n’est qu’en 1956 qu’elle a été officiellement créée à Nairobi en tant qu’association sous le nom de The East African Library Association (EALA), avec 27 membres exclusivement blancs, qui a formulé sa constitution l’année suivante (p. 346). Ce n’est qu’en 1960 que les deux premiers membres non européens de couleur ont été admis, John Ndegwa et Reuben Omwakwe, dont le premier a été élu rédacteur en chef de The African Library Association Bulletin, la publication de l’association, et en 1964, deux ans après l’indépendance du Kenya, il est devenu le premier président de l’EALA (p. 347). À partir de 1960 (année d’admission de ses deux premiers membres de couleur), et plus encore pendant la présidence de Ndegwa, l’association a connu une croissance exponentielle et, en 1964, elle a créé deux branches, l’une à Dar es-Salaam, en Tanzanie, et l’autre à Kampala, en Ouganda, ne reflétant qu’à partir de ce moment-là son caractère véritablement est africain, comme son nom l’indiquait (p. 347). Mais en 1972, l’EALA a été dissoute et ses trois branches ont donné naissance à l’Association des bibliothèques du Kenya (KLA), à l’Association des bibliothèques de l’Ouganda et à l’Association des bibliothèques de Tanzanie, qui subsistent encore aujourd’hui (p. 348).
La formation des bibliothécaires en Afrique de l’Est a été, depuis la création de l’EALA et par la suite de la KLA, une activité prioritaire de l’Association (p. 350). Des cours de formation ont été lancés à l’ancien Royal Technical College of East Africa, aujourd’hui Université de Nairobi depuis 1959 et l’EALA a permis la création de l’actuel E.A. School of Librarianship à l’Université Makerere de Kampala, en Ouganda, en 1964 (p. 351). En 1974, avec l’aide de divers pays, le cours de formation de l’UNESCO pour les assistants bibliothécaires (UTCLA) est mis en place à l’école polytechnique du Kenya à Nairobi et le gouvernement finance un cours pour les assistants bibliothécaires, ainsi que la création de l’école de bibliothéconomie de l’Université de Nairobi (p. 351). La KLA organise des conférences bisannuelles et possède sa propre publication dénommée MAKTABA (p. 352). La KLA entretient des liens avec différentes associations internationales et est affiliée à l’IFLA, au COMLA, à l’AIDBA et au SCECAL (p. 353).
Comme le mentionne son site web, la Christian Association of Librarians in Africa (CALA-K) est une association enregistrée depuis 2002 (CALA-K, 2023, section About CALA – Kenya). Elle est née de la nécessité d’une plus grande collaboration entre les bibliothécaires et d’une formation accessible pour les nombreux bibliothécaires qui n’ont pas de formation de base ou adéquate. Bien qu’il s’agisse à l’origine d’un groupe convivial ayant pour seul objectif la camaraderie et les réunions partageant les valeurs et les activités chrétiennes, aujourd’hui, même les non-chrétiens peuvent devenir membres et bénéficier des programmes de formation mis en place.
Cadre législatif
Les bibliothèques du Kenya sont influencées par plusieurs législations. Certaines de ces lois remontent à l’ère coloniale, tandis que d’autres ont été adoptées après l’indépendance. À noter que ces lois ont fait l’objet de plusieurs révisions pour faire face aux changements sociétaux et aux tendances dans le domaine de la bibliothéconomie. Ainsi, nous ne présenterons que la version la plus récente de ces lois.
La Constitution du Kenya (2010) sert de fondement à toute législation au pays. L’article 11 reconnaît la culture comme le fondement de la nation et comme l’accumulation de la civilisation du peuple et de la nation kényane. Le texte souligne l’engagement de l’État à « promouvoir toutes les formes d’expression nationale et culturelle à travers la littérature, les arts, les célébrations traditionnelles, la science, la communication, l’information, les médias, les publications, les bibliothèques et autres héritages culturels » (Constitution of Kenya, 2010, alinéa (2)a).
Les bibliothèques publiques du Kenya sont régies par la loi relative à la Direction du service national des bibliothèques (Kenya National Library Service Board, chapitre 225). Cette législation a été promulguée en 1965, peu de temps après l’indépendance du Kenya, et révisée en 1969, 1970, 1984, 1988 et 2008. Le texte institue le rôle de la Direction : « promouvoir, fonder, équiper, conserver et développer les bibliothèques au Kenya » (traduction libre d’Otike, 2004, p. 3) sous la forme d’un service national des bibliothèques. Ainsi, cette loi habilite la Direction à conseiller le gouvernement, les autorités locales et le secteur privé sur toutes questions liées au développement des bibliothèques. Actuellement, la direction du Kenya National Library Service relève du ministère des Sports, de la Culture et du Patrimoine. Une proposition de loi, la Kenya National Library Service Bill, viendra prochainement abroger la législation actuelle.
Un autre texte législatif régissant les services de bibliothèque au Kenya est le McMillan Memorial Library Act (Chapitre 217 des Lois du Kenya). Cette loi institue la McMillan Memorial Library et a pour objet d’établir, conserver et développer une bibliothèque de référence, une salle de lecture et une bibliothèque de prêt à Nairobi (Armstrong, 2010). Cette bibliothèque est également chargée de faire circuler des ouvrages. Comme mentionné dans la section Histoire, la McMillan Library prévoyait l’usage exclusif de ses installations par les Européens dans les paragraphes (a, b et c) de l’article 6. L’acte a été modifié six fois, la dernière instance remontant à 1966. À ce jour, cette bibliothèque est le seul bâtiment au Kenya protégé par une loi spécifique du Parlement (Dahir, 2023).
Au Kenya, le Books and Newspapers Act (Chapitre 111 des Lois du Kenya) fait office de loi sur le dépôt légal. Cette législation remonte à 1906 et a été modifiée en 1960,1962, 1980, 1987 et 2002. La loi prévoit que chaque éditeur au pays est tenu de déposer deux exemplaires de chaque nouveau titre publié auprès du Kenya National Library Service dans les 14 jours (ou avant) suivant la publication (Books and Newspapers Act, Chapter 111, 2002, alinéa 6(1)c). Cette législation permet à la fois un contrôle bibliographique et une bibliographie nationale.
Plusieurs autres textes de loi ont un impact sur les domaines de l’information au Kenya (Kibandi et al., 2017), telles que le Public Archives Act (Chapitre 19), le Records Disposal Act (Chapitre 14), la Science and Technology Act (Chapitre 250), le Industrial Property Act (Chapitre 509) et le Copyright Act (Chapitre 130).
Information complémentaire
Book Bunk, un projet pour décoloniser les bibliothèques du Kenya.
Syokau Mutonga et Angela Okune (2021), dans leur fascinant ouvrage Re-membering Kenya : Building Library Infrastructures as Decolonial Practice dévoilent un cas très intéressant sur la façon dont une organisation appelée Book Bunk est devenue un cas emblématique au Kenya de pratiques bibliothéconomiques tout à fait progressistes et décolonisantes (p. 199-202). Elles analysent le cas de Book Bunk, un Trust à impact social fondé en octobre 2017 par Wanjiru Koinange et Angela Wachuka visant à décoloniser matériellement et conceptuellement certaines des bibliothèques publiques emblématiques de Nairobi, dont la bibliothèque McMillan (p. 200). Ce bâtiment est un rappel du passé colonial du Kenya, lieu de récréation pour les colonisateurs, dans ses trois premières décennies la bibliothèque était limitée à l’usage des seuls Européens (p. 200), ornés de têtes d’animaux comme trophées de chasse (p.189), et parmi le matériel photographique qu’elle abrite se trouvent, par exemple, des photos de la première pendaison institutionnelle d’aborigènes à l’époque coloniale (p. 200).
Tout d’abord, elles ont envisagé de changer le nom (p.200) ainsi que le type de classification Dewey (étant donné les antécédents bien connus de Melvil Dewey en matière de misogynie et de racisme), en essayant de créer son propre système de classification moins hiérarchique et plus inclusif (p. 200 et 202). En outre, ayant trouvé des formes multiples et variées de crowdsourcing, ne dépendant plus des ONG étrangères et des (rares) budgets gouvernementaux, elles ont changé les politiques d’acquisition des bibliothèques et des événements culturels, les rendant réellement participatifs et pertinents pour le public qu’ils servent, favorisant les auteurs nationaux et incluant l’ensemble des 40 langues nationales (p. 202). Book Bunk a créé une archive historique comprenant des matériaux sur les événements historiques clés de la lutte pour l’indépendance du Kenya (tels que la révolution Mau Mau, les assassinats politiques, les mouvements de défense des droits de l’homme et les lois d’exploitation sur l’acquisition des terres, entre autres), dans le but de favoriser des débats constructifs, de faire de la place à l’histoire passée sous silence de l’identité et de la lutte kenyanes pendant la période coloniale, et de soutenir la capacité du public kenyan à faire preuve de conscience critique (p. 201). Par contraste, à ces archives historiques d’un passé douloureux, une nouvelle archive appelée "Missing Bits" a récemment été ajoutée, qui reflète plutôt le présent et l’avenir, une archive vivante et pleine d’espoir qui incorpore les voix des utilisateurs variés, les gens ont été invités à enregistrer leurs histoires dans leur langue maternelle et à numériser leurs documents et photos pour créer une archive vivante de la population de Nairobi, décolonisant ainsi son statut actuel (Asomugha, 2023, section "Reclaiming the Archive").
Références
Armstrong, C. (2010). Access to Knowledge in Africa: The Role of Copyright. IDRC.
Asomugha, C. (2023). Reclaiming Public Libraries for The People Of Nairobi. The Urban Activist. https://theurbanactivist.com/idea/reclaiming-public-libraries-for-the-people-of-nairobi/
Central Intelligence Agency. (2023). Kenya. The World Factbook. https://www.cia.gov/the-world-factbook/countries/kenya/
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