19 Venezuela
(Anne-Sophie Jeanson, Camille Potvin, Chloé Gervais, Daniel Richer et Eva Garrido)
Profil du pays
Le Venezuela (République bolivarienne du Venezuela) se situe dans le nord de l’Amérique du Sud, partageant ses frontières avec la Colombie et la Guyane. D’une superficie de 912 050 km2, sa géographie diversifiée comprend la cordillère des Andes et les basses terres de Maracaibo au nord-ouest, les plaines centrales connues sous le nom de llanos, et les hauts plateaux de Guyane situés au sud-est. Le littoral du pays s’étend sur 2 800 km le long de la mer des Caraïbes et de l’océan Atlantique Nord. La population vénézuélienne est estimée à 30,5 millions d’habitant·e·s, positionnant le pays au 50e rang mondial des pays les plus peuplés. Le taux de population urbaine s’élève à 88,4 %, soit la vaste majorité. Outre la capitale nationale, Caracas (2,9 millions de personnes), on compte parmi les villes à forte concentration démographique Maracaibo (2,3 millions de personnes), Valencia (1,9 million de personnes), Barquisimeto (1,2 million de personnes), Maracay (1,2 million de personnes) et Ciudad Guayana (964 000 personnes). La langue officielle est l’espagnol, en plus de divers dialectes autochtones. Le taux de chômage global est de 6,41 %, et 33,1% de la population vivent sous le seuil de la pauvreté. Le gouvernement consacre 1,3 % de son PIB à l’éducation, plaçant le pays au 194e rang mondial. Le taux d’alphabétisation reste élevé, avec 97,5 % de la population âgée de 15 ans et plus sachant lire et écrire. Les principaux secteurs économiques du Venezuela comprennent l’agriculture (4,7 %), l’industrie (40,4 %) et les services (54,9 %). Le Venezuela s’engage activement dans les relations internationales, prenant part à de nombreuses organisations telles que l’ONU, Interpol et l’UNESCO (Central Intelligence Agency, 2023, 12 décembre).
Histoire
Les premières bibliothèques vénézuéliennes
L’histoire des bibliothèques au Venezuela s’étend sur plusieurs siècles, la première bibliothèque coloniale étant fondée à la fin du 16e siècle au couvent de Notre-Dame de Salceda, à Sainte-Anne-de-Coro. D’abord privées, les bibliothèques des 17e et 18e siècles appartiennent à des aristocrates et à des ecclésiastiques, et demeurent réservées à l’usage familial et monastique. En 1691, un décret du provincial de l’ordre franciscain introduit le rôle de bibliothécaire, marquant la première inscription de ce titre au Venezuela. Un siècle plus tard, en 1790, apparaît le premier bibliothécaire connu, le père Cristóbal de Quesada, qui travaille à la bibliothèque du couvent de la Miséricorde à Caracas. Le concept de bibliothèque publique apparaît quant à lui après la Déclaration d’indépendance de 1810. L’avocat et politicien Juan Germán Roscio propose alors une bibliothèque publique à Caracas, un projet qui se concrétise avec le militaire et politicien, Simón Bolívar, qui y travaille pendant la guerre d’indépendance, et jusqu’à sa mort, en 1814 (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017).
Bouleversements sociopolitiques du 19e siècle à aujourd’hui
L’histoire du Venezuela est marquée par son émergence en 1830 à partir de la dissolution de la Grande Colombie, aux côtés de l’Équateur et de la Nouvelle-Grenade (Colombie). Tout au long de la première moitié du 20e siècle, des militaires gouvernent le pays, favorisant l’industrie pétrolière et mettant en œuvre des réformes sociales limitées. Malgré une gouvernance démocratique depuis 1959, Hugo Chávez, au pouvoir de 1999 à 2013, centralise l’autorité, orientant le pays vers l’autoritarisme. Cette tendance se poursuit en 2018 avec la réélection contestée de Nicolás Maduro. L’Assemblée nationale de 2015 est la dernière institution démocratiquement élue, et les élections législatives ultérieures de 2020 et 2021 s’entachent de controverses, étant largement soupçonnées d’être frauduleuses (Central Intelligence Agency, 2023, 12 décembre).
Les bibliothèques vénézuéliennes face aux tensions sociopolitiques : un rôle réaffirmé
Le régime de Maduro contrôle étroitement la libre expression et la presse. Les bibliothèques du Venezuela subissent ainsi, depuis près d’un quart de siècle, des pressions idéologiques et polarisantes. Se confrontant à des enjeux de censure, de corruption et de contrôle étatique, les bibliothécaires doivent continuellement réaffirmer leurs valeurs et leur rôle crucial dans le fondement du développement national, réitérant la nécessité pour la population d’être bien informée et instruite. Les écoles nationales de bibliothéconomie préconisent une vision sociale juste et équitable pour La Bibliothèque nationale du Venezuela (BNV), ainsi que ses bibliothèques publiques, scolaires, universitaires et spécialisées/privées. Les professionnel·le·s de l’information à travers le pays militent en faveur de la démocratie, notamment auprès des dirigeant·e·s politiques, afin de s’assurer que la disposition constitutionnelle du pays soit formée sur la base des droits de la personne (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017).
Types de bibliothèques
Bibliothèque nationale du Venezuela
La BNV, située à Caracas, est l’institution et l’actrice de référence bibliothéconomique la plus importante du pays. Créée au début des années 1830, elle répond à l’initiative du secrétaire d’État de l’époque, Antonio Guzman, qui souhaite regrouper les documents officiels en un seul endroit fédéralisé. En 1833, un décret gouvernemental officialise l’instauration de la BNV, mais celle-ci connaît une lente progression dans ses réalisations et ses services. En devenant autonome en 1974, année où s’amorce une importante transformation de la gouvernance et des politiques de la BNV, l’État vénézuélien reconnaît le rôle fondamental de l’institution dans la conservation et la diffusion des documents étatiques, notamment pour l’établissement d’un gouvernement démocratique transparent et modernisé. En tant que directrice de la BNV de 1974 à 1999, Virginia Betancourt se distingue par son engagement dans le processus de reconnaissance de ces principes. Durant tout son mandat, Betancourt mobilise des ressources considérables pour le développement de services informationnels visant l’amélioration de l’accessibilité des documents au Venezuela. C’est sous sa gouverne que la BNV instaure l’Institut autonome en bibliothèque nationale et services de bibliothèques (IABNSB), un réseau d’information innovateur à l’époque. Ce dernier connaît ensuite un rayonnement auprès des institutions bibliothéconomiques et démocratiques internationales, telles l’IFLA ou l’UNESCO (Torres, 2011). En 1977, l’IABNSB assume la responsabilité du dépôt légal du pays, créant ainsi un réseau de bibliothèques publiques et fournissant une aide au ministère de l’Éducation dans l’élaboration d’un système de gestion des bibliothèques scolaires (Figueras, 2021). La BNV s’acquitte aussi de la tâche de recueillir les savoirs oraux afin de préserver l’expertise nationale. Ses progrès réalisés en matière de démocratisation et de professionnalisation sont toutefois interceptés avec l’arrivée au pouvoir de Hugo Chávez en 1999. Lui retirant son autonomie politique, le gouvernement Chávez réduit aussi considérablement son financement et impose une importante censure informationnelle. La BNV perd le soutien de l’État et la reconnaissance internationale, et ses bases de données sont aujourd’hui inexistantes. De plus, la bibliothèque n’est fréquentée que par moins de 1 % de la population (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017 ; Torres, 2011).
Bibliothèques publiques
Le Venezuela compte plus de 700 bibliothèques publiques, réparties dans les 24 régions administratives du pays. Mandaté par l’IABNSB, le secteur public des bibliothèques se dote d’un réseau national des bibliothèques publiques (SNBP) dans les années 1970, qui régit la gestion des services en bibliothèque publique. Le Venezuela est le premier pays en Amérique latine à instituer une telle politique. Les principes de gouvernance du SNBP s’inspirent notamment de la Déclaration de Caracas pour la bibliothèque publique de 1982. Signée par des représentant·e·s d’une trentaine de pays, celle-ci établit les principes fondateurs des bibliothèques publiques du Venezuela, parmi lesquels figurent les principes d’accessibilité, de démocratie et de protection des droits des peuples autochtones (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017). Aujourd’hui, les services en bibliothèques publiques sont précaires, alors que celles-ci font face à des enjeux financiers et politiques importants. On suppose que les bibliothèques publiques sont fréquentées par moins de 10 % de la population et qu’elles remplacent dans de nombreux cas les bibliothèques scolaires (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017). Tout de même, les initiatives de bibliothèques hors les murs se démarquent comme un modèle bibliothéconomique de réussite au Venezuela. Parmi elles, les bibliothèques aménagées dans les parcs de Medellín réussissent à subvenir aux besoins des populations et pallier les enjeux sociaux locaux, notamment parce qu’elles brisent les barrières sociales liées aux questions d’éducation en s’intégrant à la vie urbaine et qu’elles proposent une offre de services en immédiate concordance avec les besoins des populations locales (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017). Ces initiatives embellissent le portrait actuel des bibliothèques publiques au Venezuela.
Bibliothèques scolaires
Au Venezuela, le réseau de bibliothèques scolaires est régi par l’Office National des Services en Bibliothèques scolaires, et comprend des bibliothèques centrales, des petites bibliothèques et des bibliothèques mobiles. Entre les années 1965 et 1998, l’organisation de la Banco del Libro (Banque du Livre [traduction libre]) et la BNV ont considérablement contribué à la mise sur pied d’un réseau de bibliothèques scolaires au pays. Ces dernières jouent un rôle important dans la reconnaissance, la diffusion et la conservation des langues et des savoirs autochtones durant cette période. Les bibliothèques scolaires travaillent également au développement de collections destinées aux jeunes enfants issus des communautés autochtones, en plus de favoriser l’apprentissage et la lecture chez les jeunes du pays. Toutefois, malgré les efforts déployés, les bibliothèques scolaires vénézuéliennes ne réussissent pas à répondre de manière satisfaisante aux exigences en matière de bibliothèques scolaires. En effet, les infrastructures sont le plus souvent déficientes, la formation des bibliothécaires est insuffisante, et les bibliothèques scolaires manquent de ressources financières pour offrir des services de qualité (Figueras, 2021). Plusieurs soutiennent que les services en bibliothèques scolaires sont aujourd’hui pratiquement inexistants (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017). Les bibliothèques publiques se mobilisent pour pallier leur absence (Figueras, 2021).
Banco del Libro
La Banco del Libro est un organisme à but non lucratif qui a pour mission de promouvoir la lecture auprès des enfants et adolescent·e·s du Venezuela. Résolument innovante, elle soutient depuis près de 50 ans des projets et une collection de livres jeunesse dans le but de favoriser des transformations sociétales émanant de citoyen·ne·s engagé·e·s et éclairé·e·s. Considérant les inégalités sociales du pays, la notion d’accès est au cœur du projet, et la Banco del Libro vise à favoriser la lecture auprès de toutes les communautés, et plus particulièrement celles affectées par des crises (économiques, environnementales). Plusieurs projets ont été mis sur pied avec cet objectif précis en tête comme celui du Tendiendo puentes con la lectura (Construire des ponts avec la lecture [Traduction libre]) qui souhaite favoriser le sentiment d’appartenance des jeunes issus de communautés défavorisés à Caracas en abordant des thèmes tels que l’inclusion et la liberté (IBBY, s.d.). La Banco del Libro organise aussi de multiples activités culturelles qui n’ont pas de lien direct avec la lecture, mais qui favorisent des échanges entre les communautés (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017). Depuis sa création, cet organisme est considéré comme un modèle, et plusieurs autres pays s’en sont inspirés dont la Colombie et l’Espagne (IBBY, s.d.).
Bibliothèques universitaires
Publiques ou privées, les bibliothèques universitaires (BU) vénézuéliennes ont pour mission commune de soutenir la recherche et le développement professionnel (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017). Elles s’engagent en faveur de l’enseignement et de la vulgarisation, tout en contribuant à transmettre des valeurs démocratiques aux communautés dans lesquelles elles sont implantées (Navea Soto, 2017). Les BU constituent un maillon fort du réseau vénézuélien (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017). Pour les 22 institutions publiques (sur un total de 43 BU), le financement dépend du gouvernement, qui coordonne le fonctionnement des universités par le biais du Conseil national des universités (CNU), présidé par le ministre de l’Enseignement supérieur. Le CNU encadre notamment l’attribution et la répartition générales des budgets aux établissements, dont celui des bibliothèques (Bashirullah et Jayaro, 2006). Parmi les enjeux actuels rencontrés par les BU, soulignons le soutien des projets visant à résoudre les crises économiques et sociales, le maintien à jour des fonds documentaires (papiers et numériques) et la formation des membres de leur communauté à la littératie numérique. Faisant également preuve d’engagement social, elles encouragent l’apprentissage au fil de la vie et appuient le développement durable, tant environnemental que social et économique – ce qui les positionne au diapason des objectifs de l’UNESCO (Navea Soto, 2017).
L’Université centrale du Venezuela (UCV) constitue la première et la plus grande université publique au pays et ses collections ont été intégrées à la BNV des années 1870 jusqu’en 1892 (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017). À partir des années 1950, le projet de son réaménagement mène à la construction d’une cité universitaire comptant une quarantaine de bâtiments. Cet ensemble architectural est reconnu en 2000 par l’UNESCO comme site du patrimoine mondial (Navea Soto, 2017).
Les bibliothèques numériques et le libre accès
Retrouvées principalement en contexte académique, les bibliothèques numériques prennent surtout la forme de répertoires d’informations spécialisées, de revues universitaires numériques et de dépôts institutionnels accessibles en ligne. Faisant office de métamoteur de recherche, le référentiel Metadatum regroupe l’ensemble des dépôts institutionnels des universités du pays qui utilisent le protocole OAI-PMH (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017). Par ailleurs, la culture du libre accès par voie verte est bien établie en milieu universitaire (Buitrago Ciro, 2022). À titre d’exemple, le Venezuela propose un total de 54 revues scientifiques offertes en libre accès dans le Réseau de revues scientifiques d’Amérique latine et des Caraïbes, d’Espagne et du Portugal (Redalyc), ce qui juche le pays au 6e rang en termes de nombre de publications indexées (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017).
Bibliothèques spécialisées
Le Venezuela compte une trentaine de bibliothèques spécialisées, principalement localisées dans la capitale, Caracas. On y retrouve des bibliothèques traitant de sujets aussi variés que la littérature étrangère (française, anglaise, allemande), les peuples autochtones d’Amérique latine, les sciences et les technologies, l’agriculture et la médecine, pour ne nommer que ceux-ci (De Gruyter, 2021). Associées à des organismes privés ou publics, à une branche du gouvernement ou à une université, ces bibliothèques axent leurs collections sur des sujets précis afin de fournir à leur communauté de l’information pertinente. Notons l’Institut vénézuélien de recherche scientifique (IVIC) de la bibliothèque Marcel Roche, qui est l’une des bibliothèques phares du pays. Grâce à un soutien financier du ministère, l’IVIC est en mesure de garnir sa collection de documents et de bases de données dans le domaine académique. Fondée en 1941, la bibliothèque Ernesto Peltzer de la Banque Centrale est aussi l’une des bibliothèques spécialisées les plus importantes du Venezuela comportant approximativement 100 000 ouvrages portant sur la finance et l’économie (De Gruyter, 2021). Quelques fondations philanthropiques vénézuéliennes, notamment Rojas Astudillo, Pedro Manuel Arcaya, John Boulton, Vicente Lecuna, Humboldt, La Salle et le Centre vénézuélien américain développent chacune des bibliothèques spécialisées (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017).
Cadre éducatif en sciences de l’information et des bibliothèques
En Amérique latine, la formation des professionnel·le·s en SIB se fait au niveau du premier cycle. Appelée licenciatura, cette formation dure de 3 à 5 ans (Martinez-Arellano, 2019). Au Venezuela, deux institutions universitaires offrent une formation en SIB : l’école des bibliothèques et des archives de l’UVC (EBA-UCV) à Caracas et celle de l’Université de Zulia (EBA-LUZ) à Maracaibo. Le titre des professionnel·le·s des bibliothèques et des archives est, depuis 1950, technicien·ne·s en bibliothéconomie.
Fondée en 1948, l’EBA-UCV offre deux licenciatura de cinq ans, l’une en archivistique et l’autre en bibliothéconomie. Cette première école offre aussi deux programmes de cycle supérieur (graduate studies): une spécialisation en gestion des réseaux d’information et une maîtrise en information et communication pour le développement. Fondée en 1962, l’EBA-LUZ offre elle aussi deux programmes de licenciatura respectivement en archivistique et en bibliothéconomie, en plus d’une maîtrise en science de l’information.
D’autres universités offrent également des formations dans le champ des sciences de l’information : l’Université de Carabobo à Valence – cours et licenciatura en certification documentaire –, l’Université catholique Andrés Bello à Caracas – maîtrise en systèmes d’information – et l’Université Yacambú à Barquisimeto – licenciatura en information et documentation. En date de 2019, aucun programme doctoral en SIB n’existe au pays, obligeant les chercheur·euse·s à poursuivre leurs travaux dans d’autres pays ou disciplines (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017). Certaines universités ibéro-américaines offrent aussi une maîtrise en SIB, mais une seule donne la possibilité de faire un doctorat – l’Université nationale autonome du Mexique (Martinez-Arellano, 2019).
La première mouture de la formation professionnelle s’inspire en partie du discours fondateur que l’Espagnol José Ortega y Gasset a prononcé en 1935 lors du deuxième congrès international de l’IFLA, à Madrid. Publiées sous la forme du livre Misión del bibliotecario (Mission du bibliothécaire [traduction libre]), les idées de ce discours ont connu un vif succès au Venezuela et ont pu circuler avant qu’il n’y ait de formation professionnelle en SIB, menant au constat de l’importance de la professionnalisation du métier de bibliothécaire. À l’époque, le premier curriculum professionnel national repose sur sept types de compétences : compétences de base, compétences administratives, traitement technique, sources d’information, documentation et information, recherche et compréhension de la nature humaine. À cela s’ajoutent aujourd’hui des aspects supplémentaires tels que le contexte sociohistorique des objets et des domaines d’étude, la formation des utilisateur·rice·s et la promotion de la lecture et la littératie informationnelle. Bien que ces dernières facettes ne prennent pas nécessairement part à la formation de base en SIB, elles peuvent y trouver leur place grâce à des cours complémentaires (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017).
Association de bibliothèques
La littérature accessible en ligne concernant les associations, peu importe la langue, est plutôt rare. Pour le peu qui est disponible, les parutions sont plutôt datées et n’offrent donc pas une représentation à jour de leurs activités. De plus, plusieurs des sites des associations étaient inaccessibles au moment de notre recherche laissant supposer que les activités associatives de certaines ont peut-être cessé. Nous présumons aussi que l’instabilité sociopolitique telle que décrite à la section Profil du pays peut être la cause derrière les difficultés d’accès et la restriction de certaines ressources. Malgré tout, voici un bref portrait des associations présentes au Venezuela à la suite de nos recherches sur le sujet.
La Asociación de Estados Iberoamericanos para el Desarrollo de las Bibliotecas Nacionales de Iberoamérica (Association des États Ibéro-Américains pour le développement des bibliothèques nationales), mieux connue sous l’abréviation de ABINIA, a vu le jour en 1989 à Mexico. Depuis 2019, les bureaux sont situés à Caracas dans la capitale du Venezuela. Virginia Betancourt contribue grandement à la fondation de l’association, souhaitant ainsi donner une voix aux institutions latines (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017). En devenant membre de l’IFLA en 1996, l’association répond au souhait de Bétancourt de collaborer à l’international. En revanche, l’ABINIA ni aucune autre association vénézuélienne ne figurent parmi la liste de membres actifs de l’IFLA en date du 18 août 2023. Comptant 22 membres, l’ABINIA est active dans la majorité des pays du sud de l’Amérique et a pour mission de promouvoir la collaboration entre les membres afin d’assurer le progrès dans les bibliothèques nationales (ABINIA, 2023). L’ABINIA soutient les missions de développement durable pour les bibliothèques de l’UNESCO, mais tout particulièrement celles reliées à l’éducation de qualité (objectif 4), la réduction des inégalités (objectif 10) et celle visant la paix, la justice et le maintien d’institutions efficaces (objectif 16) (UIA, 2019).
La Asociación Nacional de Directores de Bibliotecas, Redes y Servicios de Información del Sector Académico, Universitario y de Investigación (ANABISAI) ou l’Association nationale des directeur·ice·s de bibliothèques des secteurs de l’enseignement, de la recherche et des universités, est quant à elle active dans la communauté des bibliothèques académiques. L’ANABISAI est fondée en 1995 aux suites du regroupement de plusieurs directeur·rice·s de bibliothèques universitaires. Se sentant lesé·e·s par la situation financière critique du pays, notamment par l’insuffisance des budgets alloués pour l’achat de collections pertinentes dans leurs universités, le consortium est créé avec l’objectif de partager les ressources acquises afin de sauver des coûts et ainsi faire profiter au plus grand nombre l’accès aux bases de données et ouvrages de référence (Bashirullaha et Jayaro, 2006). Depuis sa création, l’ANABISAI favorise la coopération entre ses membres en organisant des colloques et des rencontres internationales avec d’autres associations et professionnel·le·s de l’information. Parmi les thèmes récemment abordés lors de ces congrès, notons celui de l’utilisation des technologies de l’information dans le cadre de la gestion des bibliothèques (Morales Campos et Pirela Morillo, 2020).
Le Colegio De Bibliotecólogos Y Archivólogos De Venezuela (COLBAV), ou Association des bibliothécaires et archivistes du Venezuela, est créé en 1956 par des diplômé·e·s de l’Université centrale du Venezuela. L’association est fondée dans le but de promouvoir les professionnel·le·s des milieux bibliothécaires et archivistiques. En appelant la participation de plusieurs professeur·e·s lors de sa création, le COLBAV travaille en étroite collaboration avec les initiatives valorisant la recherche universitaire et l’enseignement des disciplines (Morales Campos et Pirela Morillo, 2020).
Cadre législatif
Il semble que peu de lois et de règlements encadrent les bibliothèques du Venezuela. Il y a d’abord la Loi sur l’Institut autonome de la bibliothèque nationale et des services de bibliothèques. Établie le 27 juillet 1977, elle fonde l’IABNSB et bonifie grandement les services d’information et de bibliothèques et autres services partout au pays (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017). Cette loi devient le symbole de la modernisation de la BNV. En créant l’IABNSB, la présidente de ce nouveau réseau à l’époque, Virginia Betancourt, rallie le support de l’État, d’individus et d’organisations vénézuéliennes et internationales pour créer un nouveau réseau centralisé d’information et de bibliothèques à l’échelle nationale ayant pour cœur cet institut (Torres, 2011). Cette première loi contribue à mettre sur pied le RNBP et incite à la construction de plusieurs bibliothèques publiques et scolaires à travers le pays (Penna, 1982). Ce réseau est à l’avant-garde pour l’époque en Amérique latine (Torres, 2011). Cependant, la loi de l’IABNSB qui était si novatrice à l’époque est maintenant obsolète. Ni elle ni les institutions qu’elle contribue à créer ne sont modifiées depuis 1977 alors que le monde de l’information et des bibliothèques, lui, a beaucoup évolué : en effet, lors de l’adoption de la nouvelle constitution en 1999, la Loi est reconduite sans être mise à jour (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017).
Datant de 1993, la Loi sur le dépôt légal (Ley de Deposito Legal) stipule que, pour favoriser la conservation et la diffusion du patrimoine du pays, tout document publié au Venezuela ou portant sur celui-ci doit être remis à l’IABNSB, chargée de faire appliquer la loi. Cette loi précise les types de documents recueillis, le processus pour soumettre les documents, l’attribution du numéro du dépôt légal, les exceptions et bien plus encore (Gaceta Oficial de la Republica de Venezuela, 1997). De cette façon, Betancourt et la Loi de l’IABNSB permettent de renflouer les étagères de l’IABNSB en centralisant les procédures d’acquisition des documents d’intérêt pour le Venezuela, incluant les documents audiovisuels, une première à l’époque (Torres, 2011).
Le cadre législatif encadrant les bibliothèques est donc seulement composé de ces deux lois. D’autres lois concernent les services d’information ou le milieu des livres telles que la Loi sur les technologies de l’information (OMPI, [s. d.]). Il est aussi possible, par exemple, de retrouver une rare mention des bibliothèques dans l’article 108 de la constitution du pays qui exprime que l’État se doit de fournir des services de radio, de télévision et de bibliothèque dans l’objectif d’un accès universel à l’information (1999). Les bibliothèques sont également mentionnées dans la Loi sur le droit d’auteur qui mentionne le dépôt légal d’œuvres à la BNV (Congrès de la République, 1993) ou la Loi sur les livres (Ley del Libro) qui exprime l’importance des bibliothèques dans la diffusion des livres et de la lecture (El Congreso de la Republica de Venezuela, 1997). Toutefois, malgré le fait que l’État semble avoir pour objectif l’accès à l’information et qu’il reconnaisse l’importance des bibliothèques dans ces documents légaux, aucun autre cadre légal ou initiative ne précise comment arriver à fournir de façon adéquate ces services en information. Il existait auparavant, dans la Loi organique sur le régime municipal (Organic Municipal Regime Law) de 1989 une obligation pour les municipalités de plus d’un certain nombre d’habitant·e·s d’avoir une bibliothèque publique. Cependant, cette loi a été changée en 2010 pour devenir la Loi organique sur le pouvoir public municipal (Organic Public Municipal Power Law) dans laquelle le règlement sur les bibliothèques n’apparaît plus (Granda et Machin-Mastromatteo, 2017). Bref, le cadre légal des bibliothèques est plutôt sommaire, et l’un de ses deux piliers est obsolète. Toutefois, selon Granda et Machin-Mastromatteo (2017), une nouvelle mouture de ce cadre légal serait en préparation, mais l’absence de consultation de la population dans cette affaire fait déjà débat.
Information complémentaire et particularités
Les perspectives d’une bonne gestion des bibliothèques au Venezuela sont incertaines en raison de nombreux problèmes liés à la liberté d’expression, à l’accès équitable à l’information et aux droits de la personne. D’une part, les autorités vénézuéliennes imposent des restrictions à la liberté d’expression et de la presse. Des journalistes, des médias indépendants et des défenseur·euse·s des droits de la personne font l’objet de harcèlement. Plusieurs atteintes à la liberté d’expression sont signalées, comme des cas de censure, des attaques verbales et de l’intimidation envers des journalistes. Certaines stations de radio sont fermées par les autorités, et font l’objet de demandes de blocage d’accès à certains sites Web sur les services de communication. En outre, les journalistes et les médias font face à des pressions et des menaces de la part des autorités pour avoir couvert les violations des droits de la personne et les abus perpétrés par les forces de l’ordre. Plusieurs journalistes sont assassiné·e·s, et ces meurtres demeurent irrésolus. D’autre part, l’accès à l’information est également limité au Venezuela. Les autorités imposent des restrictions sur sa diffusion, notamment en contrôlant les médias et en limitant l’accès à l’information publique. Les médias, les journalistes indépendant·e·s et les chercheur·se·s font donc face à des enjeux de taille pour obtenir leurs sources et pour exercer leur métier librement et indépendamment. (Amnesty International, 2023 ; Puyosa, 2019 ; Granda et Machin-Mastromatteo, 2017).
La mission sociale et communautaire des bibliothèques et des bibliothécaires se trouve également compromise par de multiples violations des droits de la personne. Selon Amnistie Internationale, les femmes vénézuéliennes font face de manière persistante à des violences fondées sur le genre, englobant des violences sexuelles et la traite d’êtres humains. Les migrant·e·s vénézuélien·ne·s éprouvent d’énormes difficultés sur le front des droits de la personne. En 2023, pas moins de 7,1 millions de vénézuélien·ne·s quittent leur pays en raison de la crise économique et humanitaire. Toutefois, ces migrant·e·s rencontrent d’importantes entraves à l’accès aux services essentiels dans leurs nouveaux pays d’accueil, notamment en matière d’eau et d’assainissement. Les premiers peuples sont confrontés à des violations continues de leurs droits liés à leurs terres ancestrales et à leur mode de vie traditionnel. Malheureusement, aucune avancée significative n’est enregistrée en ce qui concerne la question des droits des personnes 2ELGBTQQIA+. Ces personnes sont fréquemment sujettes à la discrimination, à la violence et à la stigmatisation, éprouvant des difficultés notables à obtenir des services médicaux et des protections juridiques, comme le souligne le rapport d’Amnistie internationale en 2023 (Amnesty International, 2023).
Références
Amnesty International. (2023). Venezuela : La situation des droits humains. Amnesty International. https://www.amnesty.org/fr/location/americas/south-america/venezuela/report-venezuela/
Bashirullah, A. K. et Jayaro, X. (2006). Consortium: A solution to academic library services in Venezuela. Library Collections Acquisitions & Technical Services, 30(1), 102‑107. https://doi.org/10.1016/J.LCATS.2006.07.006
Buitrago Ciro, J. (2022). How are academic libraries in Spanish-speaking Latin America responding to new models of scholarly communication and predatory publishing? Journal of Librarianship and Information Science, 54(3), 373-388.
https://doi.org/10.1177/09610006211016533
Congrès de la République (1993). Loi sur le droit d’auteur (du 14 août 1993) (traduit par le Bureau international de l’OMPI). OMPI. https://www.wipo.int/wipolex/fr/text/130138
Constitution of the Bolivarian Republic of Venezuela. (1999). (traduit par la Human Rights Library). University of Minnesota. http://hrlibrary.umn.edu/research/venezuela-constitution.html
De Gruyter. (2021). Venezuela. World Guide to Libraries. https://doi.org/10.1515/wgtl
El Congreso de la Republica de Venezuela (1997). Ley Del Libro [Loi sur le livre]. OMPI. https://www.wipo.int/wipolex/fr/text/333264
Figueras, C. (2021). El sistema de bibliotecas escolares en Venezuela: un estudio de caso [Le système de bibliothèques scolaire au Vénezuela]. Revue Portoricaine de Bibliothécologie et Documentation, 1, 11–32. https://revistas.upr.edu/index.php/acceso/article/view/17143
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